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Le Plan chlordécone 4

Indépendamment de la question judiciaire il y a une urgence sanitaire économique et sociale à laquelle il faut répondre. C’est en partie l’objectif du 4e plan chlordécone qui doit Se dérouler entre janvier 2021 et 2027 soit 6 années. Malgré ses insuffisances et nos réserves, il apporte un début de réponse à la crise sanitaire et représente sans doute un défi à relever pour les martiniquais ensemble. Des propositions de recherche notamment sont faites avec un pilotage à la fois national (…)

Indépendamment de la question judiciaire il y a une urgence sanitaire économique et sociale à laquelle il faut répondre. C’est en partie l’objectif du 4e plan chlordécone qui doit Se dérouler entre janvier 2021 et 2027 soit 6 années.

Malgré ses insuffisances et nos réserves, il apporte un début de réponse à la crise sanitaire et représente sans doute un défi à relever pour les martiniquais ensemble.

Des propositions de recherche notamment sont faites avec un pilotage à la fois national et local où les élus auront un rôle capital à jouer.
Il faut espérer que la nouvelle équipe qui naitra des élections des13 et 20 juin prochains prendra toute la mesure de sa responsabilité dans la réussite de ce challenge.

Le Plan chlordécone 4 Plus détaillé

Contexte

Les plans chlordécone 1(2008-2010), plan 2 (2011-2014), plan 3 (2015-2020) ont été une des réponses du gouvernement après la découverte de la pollution par le chlordécone.

Le chlordécone a été utilisé dans les bananeraies de Martinique et Guadeloupe entre 1972 et 1993 donc pendant une vingtaine d’années.

Vers la fin des années 70, des rapports itératifs de responsables administratifs divers : ingénieurs sanitaires, direction départementale de la santé, surveillance des eaux, ont attiré l’attention sur la diffusion du chlordécone appliqué dans les bananeraies, dans une bonne partie des sols agricoles mais également dans les eaux de rivière des bassins versants et même quelques nappes souterraines.

Cette molécule se retrouvait fatalement dans les eaux de boissons dont la source principale est la rivière. Compte tenu des connaissances sur la dangerosité de la molécule ayant abouti à la fermeture de la première usine de production en Virginie à Hopewell en 1976, la crainte d’un retentissement sur la santé était dans tous les esprits. La grève des ouvriers agricoles de 1974 était en partie motivée par la demande de protection plus importante des travailleurs ainsi exposés.

Les évènements ont pris un tournant décisif lorsque le Professeur BELPOMME en 2007 à l’assemblée nationale a fait une déclaration incriminant le chlordécone dans la montée des cancers de la prostate aux Antilles françaises. Cette intervention a amené le Député Philippe EDMOND MARIETTE à solliciter une enquête parlementaire en 2007 dont les conclusions ont abouti à ces plans chlordécone.

Le premier plan a impliqué 6 ministères ainsi que le secrétariats d’Etat Outre -Mer, la préfecture de Guadeloupe et la Préfecture de Martinique. Son objectif était d’évaluer les conséquences humaines et environnementales de la pollution et apporter des solutions dont la réduction des expositions.

Ce premier plan chlordécone qui s’est déroulé entre 2008 et 2010, a brassé très largement l’ensemble des problématiques et contribué à une bonne connaissance des conséquences de la pollution. La cartographie des terres polluées a été initiée. Elle continue encore aujourd’hui avec les mises à jour produites par la FREDON au fur et à mesure des dosages effectués. Les agriculteurs doivent avant de cultiver faire une recherche de chlordécone. Des recommandations leur sont alors faites pour les cultures, sans obligation. Ce premier plan a permis de connaitre la dégradation spontanée de la molécule dans les sols. On a alors appris avec effroi que la contamination des terres devait durer entre 100 et 600 ans selon la qualité géologique des sols et que la recherche d’une solution de dépollution devenait une urgence dans la mesure où la terre était la source principale de contamination des aliments et des eaux de surface voire même des nappes phréatiques.

Les recherches agronomiques ont permis de mieux comprendre le transfert de la molécule du sol vers les cultures selon le métabolisme propre à chaque type de culture : racines ou fruits

Chez l’homme des études épidémiologiques ont été entreprises en Guadeloupe avec l’INSERM de Rennes sous la direction du Professeur MULTIGNER, études qui se poursuivent encore aujourd’hui. On sait notamment que la contamination par le chlordécone a touché près de 88% de la population qui se retrouve à vivre avec du chlordécone dans le sang à un taux parfois non négligeable 103µG/l.

Les études épidémiologiques sur le cancer de la prostate et sur le risque lié à la grossesse menées en Guadeloupe, dont les conclusions ont été publiées en 2010 pour « Karuprostate », et 2012 pour « Timoun », ont montré qu’il y avait un lien entre le cancer de la prostate et le chlordécone .Le risque d’avoir un cancer de la prostate quand on est contaminé est multiplié par 2 quand le taux de chlordécone dans le sang dépasse 1µg/l .On a appris également que plus le taux de chlordécone était élevé chez la femme enceinte plus elle risquait d’avoir un enfant prématuré, et plus son enfant risquait d’avoir des troubles neurodéveloppementaux ( débilité , dyslexie autisme ).

On a su également que ces risques s’expliquaient en partie par des modifications au niveau de l’équilibre de la glande thyroïde qui préside au développement du cerveau.

Un Conseil scientifique a été nommé pour évaluer les résultats de ces recherches. Présidé par le Directeur général de la santé Pr William DAB il a rendu ses conclusions et fait 12 recommandations pour sortir de la crise sanitaire.

Le plan chlordécone 2 a poursuivi les orientations du premier plan en les étendant à des domaines alors négligés comme la pêche en eau douce ou en rivière et en lançant des recherches sur la dépollution des terres.

A la fin de ces deux plans donc autour des années 2015 on avait suffisamment d’informations pour prendre des décisions audacieuses afin de protéger la population. Malheureusement il a manqué une détermination politique et un suivi de nos représentants qui pourtant ont tous validé ces deux plans. Treize années après le premier plan ,la situation sanitaire s’est dégradée et l’économie a régressé .les antillais ont perdu confiance en la production locale qui ne couvre que 10% des besoins .L’incidence standardisée des cancers de la prostate n’a cessé d’augmenter le taux de prématurité est toujours de 10% dont 3% de très grands prématurés .Les ouvriers agricoles ne bénéficient pas de médecine du travail et décèdent de cancers du sang, de troubles neurologiques non documentés .Pourtant un recensement et un suivi étaient prévu dans les 12 recommandations du Conseil scientifique.

Bien que la connaissance des risques sanitaires se soit améliorée on a continué à empoisonner la population avec des produits alimentaires contenant des doses dites « admissibles » de chlordécone. Des LMR décrétées sans aucune expertise sérieuse tantôt à 50µg/kg , tantôt à 100µg/kg , tantôt 200µg/kg. Pour se rendre compte qu’elles n’étaient pas protectrices pour 15-20% de la population.

Rien n’a été mis en place ni pour dépister le cancer de la prostate alors que les urologues décrivent un cancer touchant des jeunes de plus ne plus jeunes, parfois âgés de 40 ans avec des conséquences fonctionnelles douloureuses. Rien n’a été mis en place pour prévenir les risques sur le cerveau des enfants lors que l’on sait qu’il y a de plus en plus de zones d’éducation prioritaire ZEP et d’enfants en difficultés scolaires. L’Union régionale des médecins avait en octobre 2008 demandé des recherches complémentaires sur le lien entre chlordécone et certaines pathologies. On n’en a pas tenu compte.

Chacun des plans chlordécone 1 ,2 et 3 a mobilisé une trentaine de millions d’euros soit au total 90 millions d’euros entre 2008 et 2020.

QUELS SONT LES ENJEUX AUJOURD’HUI

Les enjeux aujourd’hui sont sanitaires économiques et environnementaux

Enjeu santé :

C’est une population contaminée à 92% à des taux pouvant n’être pas négligeables. Une intoxication dont on ne connait pas encore tous les contours notamment les incidences sur les générations futures. Mais l’incidence standardisée de certaines pathologies est bien supérieure à celle de l’hexagone et peut être reliée à la pollution au chlordécone. C’est le cas du cancer de la prostate, de la prématurité ou du myélome.

L’objectif qui pourrait être visé serait de pouvoir comprendre les mécanismes physiopathologiques de certaines pathologies afin de les prendre en charge C’est le cas des troubles neurodéveloppementaux qui sont en partie liés à une hypothyroïdie et à une toxicité directe du chlordécone sur le cerveau. Dans l’un comme l’autre cas une thérapeutique préventive bien ciblée pourrait éviter l’évolution défavorable vers l’autisme la dyslexie la débilité .

Enjeu économique

Les agriculteurs ne sont pas les seuls à être impactés par la pollution au chlordécone. Les pêcheurs ont eux aussi subi une pollution des milieux halieutiques dont ils ne sont pas responsables .Des zones d’aquaculture ont été interdites sans contrepartie .Des zones de pêche sont interdites si bien que beaucoup de pêcheurs ont abandonné la profession sans indemnisation. Il s’agirait d’aider les pêcheurs à s’équiper de matériel leur permettant d’éviter les zones contaminer pour pêcher à bonne distance des côtes, donc, de se reconvertir.

Il s’agirait d’offrir aux agriculteurs des terres saines qui représentent 60% de la sole agricole ce qui est tout à fait envisageable moyennant une volonté politique forte.

Enjeu environnemental

C’est la question de la dépollution des terres et surtout du cout de cette dépollution qui est posée.

QU’APPORTE LE PLAN CHLORDECONE 4 ?

Il mobilise des fonds conséquents 92 millions d’euros qui représentent le montant des trois plans précédents réunis.

Ces plans sont répartis en six stratégies dotées chacun d’un financement

I. SANTE ENVIRONNEMENT ALIMENTATION 60%
II. SANTE AU TRAVAIL : 2%
III. COMMUNICATION : 5 %
IV. FORMATION EDUCATION 0,4%
V. RECHERCHE : 28%
VI. SOCIOECONOMIQUE : 6%

Une avancée majeure est la nomination d’une coordinatrice pour piloter ce plan , au niveau national et local .Une directrice de projet nommée chargée de la coordination interministérielle et travaillant en étroite collaboration avec les préfets et les présidents des collectivités territoriales.

Stratégie « Socio-économique » :

Une bonne stratégie dans son ensemble avec notamment l’adaptation de la gestion du foncier en zone chlordéconée aux besoins des agriculteurs. En réorientant les productions végétales et les itinéraires techniques.
Cela permettra de préserver les terres indemnes de pollution à la chlordécone par des obligations nouvelles d’analyse des sols lors des mutations foncières.

Information de la population

C’est une avancée majeure à condition de jouer la transparence et d’informer correctement la population sur les enjeux exacts du chlordécone. En effet jamais on n’a informé la population du risque de débilité lié au chlordécone.
Jamais on n’a informé la population que le chlordécone rend stérile
Jamais on n’a dit à la population que le risque est majoré chez la femme enceinte et pendant tout le développement de l‘enfant. Pourtant c’est une exigence de la Commission européenne concernant tous les Polluants organiques persistants qui n’a jamais été mise en œuvre.
Par ailleurs on continue à donner aux femmes enceintes des produits avec des doses dites conformes de chlordécone . Le mot conforme est un euphémisme lamentable qui laisse croire avec une dose de <20µg /kg vous êtes protégé .
Il faudra donc rester très vigilants sur les messages qui seront diffusés largement dans la population dès le jeune âge.

ALIMENTATION VERS LE ZERO CHLORDECONE 19% : 17 millions d ‘euros

17 millions d’euros sont prévus mais rien ne dit qu’en 2027 les martiniquais auront à leur disposition des produits labellisés certifiés zéro chlordécone. Un coup d’épée dans l’eau ! On continuera pendant 6 ans à s’empoisonner avec des doses dites « admissibles » de chlordécone dans les aliments. L’Agence de sécurité sanitaire ANSES, affirme pour sa part qu’une valeur toxicologique de référence de 0,13µg/kg par jour est sécurisante pour l’être humain ! Si le martiniquais qui pèse 70Kg mange chaque jour des produits empoisonnés par le chlordécone, dès lors qu’il ne dépasse pas un total de 9 microgrammes au quotidien il n’aura aucune conséquence sur lui ni sur sa descendance. Cela se passe de commentaires .Cette même Agence ANSES dans une de ses publications affirme qu’un homme de 44 ans qui aurait 0,0019µg/litre de sang de chlordécone courrait un risque de cancer de la prostate. Ce taux s’atteint en mangeant des produits chlordéconés pendant huit jours, puisque le taux d’élimination quotidienne n’est que de 0,5%.

Le zéro chlordécone est possible puisque 60% des terres sont indemnes mais il faut lutter contre les puissants lobbys qui veulent les réserver aux productions d’exportation lucratives (rhum AOC, café, cacao).

Affirmer que l’on va vers le zéro chlordécone est un euphémisme. Les LMR de 20µg datent de juin 2008 soit 13 ans et ne baisseront pas avant 2027.

LA SANTE AU TRAVAIL

La prise en compte de la santé des ouvriers agricoles déjà prévue lors du 1e plan 2008-2010 est une avancée certaine car ils travaillent encore dans des conditions scandaleuses au plan sanitaire sans suivi médical structuré.
Une consultation dédiée sera ouverte au Centre hospitalier Universitaire de Martinique

LA RECHERCHE

Stratégie « Recherche » : L’objectif de cette stratégie est de développer une recherche transversale prenant en compte les attentes de la population locale, sous le pilotage d’un comité scientifique ayant une vision globale des impacts de la chlordécone, et plus largement des autres pesticides.

Il faut espérer que ce ne soit pas un vœu pieu, car lors du premier plan chlordécone le Conseil scientifique avait déjà recommandé de donner à la recherche une organisation pérenne.

Les demandes de recherche de l’union régionale des médecins libéraux de Martinique adressées au Conseil scientifique en octobre 2008 sont restées lettre morte. Les demandes de l’AMSES à Santé Publique France en 2018 n’ont jamais eu de réponse.

Des appels à projets (AAP) dédiés à la problématique de la chlordécone et de ses métabolites, gérés par l’Agence Nationale de la Recherche, seront lancés.

Il sera organisé des AAP réguliers, tous les trois ans, dont le premier sera lancé d’ici 2022. Il s’agira notamment de poursuivre les études sur les cancers (cancers de la prostate, lymphomes et myélomes multiples ...), ou encore sur le développement des adolescents (cohorte Timoun)

DES PROJETS D’INTERET PLUS CONTESTABLE

L’étude d’imprégnation KANNARI 2 sera lancée en 2021 (il s’agit de la suite de l’étude KANNARI publiée en 2018) de mieux apprécier les expositions par voie alimentaire à partir des nouvelles données. Il faut simplement utiliser ces sommes à aider les agriculteurs et les pêcheurs à offrir à la population des produits labellisés certifiés zéro chlordécone à prix abordable, Il n’y aura alors aucune exposition au chlordécone.

Les programmes de protection des générations futures. Il faut parvenir à comprendre cet objectif !Comment protège- t- on des générations en donnant aux femmes enceintes de produits chlordéconés à hauteur de 20µg /kg quand on connait l’action épigénétique du chlordécone ?

DE GRANDES AVANCEES

Des mesures seront prises pour éviter l’extension de la contamination environnementale, notamment par le transport des terres. Un dispositif pour réglementer les chantiers de travaux publics permettant au préfet de prendre des arrêtés restreignant ou interdisant les transferts de terres depuis des territoires pour lesquels la contamination à la chlordécone est plus importante, et ainsi éviter la contamination de nouvelles parcelles susceptibles d’être utilisées pour des cultures alimentaires

Enfin, des mesures seront prises pour éviter la commercialisation de compost et support de culture susceptibles d’être contaminés.

Conclusions

Un plan qui présente des aspects positifs, d’autres plus contestables, mais il est certain que la population martiniquaise devra se l’approprier afin de faire reculer les préjudices liés au chlordécone.

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